Contexte & hypothèses
Le lac Dziani Dzaha, situé à Mayotte, est un lac thalassohalin remarquable par ses conditions extrêmes: forte salinité, pH alcalin et biomasse phytoplanctonique exceptionnelle. Des valeurs de concentration en chlorophylle a atteignant en moyenne 652 ± 179 µg L⁻¹ ont été mesurées, faisant de ce système un des plus productifs connus (Bernard et al., 2019). La diversité phytoplanctonique y est extrêmement faible (environ 15 OTUs), mais dominée de façon stable par deux phototrophes : la cyanobactérie filamentaire Arthrospira fusiformis (aujourd’hui reclassée Limnospira platensis) et le picoeucaryote Picocystis salinarum (Bernard et al., 2019). Alors que L. platensis constitue la majeure partie de la biomasse (97–99 %), P. salinarum domine en abondance cellulaire (Cellamare et al., 2018). Des travaux complémentaires de métabarcoding ont confirmé la place importante de P. salinarum parmi les eucaryotes du lac (Hugoni et al., 2018). Toutefois, depuis la naissance d’un volcan sous-marin proche de l’ile en 2018 et les remaniements géologiques dans la zone, les caractéristiques physicochimiques du lac se sont modifiées avec principalement une acidification des eaux du lac du fait de l’irruption continue de gaz (CO2 majoritaire) issus de l’activité sismique au centre du lac. Cela a entrainé un mélange de toute la colonne d’eau (3,8 m en moyenne) dans l’ensemble du lac la rendant plus oxygénée que pendant la période 2010-2018. Ceci a également occasionné une diminution de la biomasse autotrophe totale et une modification des parts relatives des biomasses de L. platensis et P. salinarum qui sont maintenant équivalentes.
Deux hypothèses scientifiques sont proposées pour expliquer ce changement des communautés :
Hypothèse 1 : Picocystis salinarum est plus adaptée que Limnospira platensis aux brusques changements de régime lumineux au sein de la colonne d’eau, dû au mélange plus intense des eaux du lac. D’après les données metatranscriptomiques réalisées avant l’apparition de l’activité sismique récentes (Duperron et al 2024), P. salinarum conservait un niveau élevé de transcrits du gène psbA jusqu’aux profondeurs étudiées—alors que L. platensis voyait l’expression des gènes photosynthétiques diminuer avec la profondeur. Ce maintien de la transcription de psbA, impliqué dans la réparation du PSII (photosystème II), suggère une meilleure résilience aux variations lumineuses et au photodommage. Par ailleurs, Limnospira platensis serait moins adaptée aux faibles niveaux de lumière et à la présence d’H2S que Picocystis salinarum (Duperron et al, 2024 ; Palmai et al, 2024). L. platensis serait ainsi défavorisée par la diminution des périodes stratifiées et l’augmentation du mélange vertical.
Hypothèse 2 : P. salinarum possède une meilleure affinité aux nutriments que L. platensis. Le mélange des eaux plus intense, homogénéise et dilue les nutriments dans l’ensemble de la colonne d’eau. Ceci tendrait à favoriser P. salinarum dont le rapport surface/volume est élevé. Cette morphologie lui confère une forte capacité d’absorption spécifique des nutriments à faibles concentrations, ce qui se traduit par une haute affinité pour les nutriments dissous. Dans les lacs salins africains, elle est reconnue comme un compétiteur efficace dans des milieux pauvres en nutriments ou soumis à de fortes fluctuations (Pálmai et al., 2020). En revanche, Limnospira platensis, est une cyanobactérie filamentaire de grande taille. Son faible rapport surface/volume limiterait l’efficacité d’absorption des nutriments quand leurs concentrations sont faibles. De plus, son métabolisme et sa croissance seraient plutôt optimisés pour des conditions riches et stables (Bernard et al., 2019).
Des expérimentations ont été réalisées en 2022 et 2023 dans le lac Dziani Dzaha pour effectuer:
- des mesures de courbes photosynthèse vs irradiance (PI) sur des prélèvements effectués à différentes profondeurs ;
- des transferts de communautés dans des régimes lumineux contrôlés (24–48 h), avec suivi de leurs paramètres photosynthétiques ;
- des manipulations expérimentales sur la composition phytoplanctonique (fractionnements enrichis ou appauvris en P. salinarum et L. platensis) et la disponibilité en nutriments (apports d’azote et de phosphore), incubées in situ sur 5 jours, avec suivi quotidien de la biomasse (POC/PON, chlorophylle a, abondance cellulaire) et mesure finale des courbes PI. Des mesures d’assimilation de nitrate en fonction des différents fractionnements des communautés ont également été réalisées.
Objectifs du stage
L’étudiant(e) analysera les données expérimentales déjà acquises afin de :
- modéliser les courbes Photosynthèse–Intensité (PI) et estimer les paramètres Pmax (productivité maximale), Ek (intensité lumineuse de demi-saturation de l’appareil photosynthétique) et α (capacité à utiliser les faibles intensités lumineuses);
- comparer les dynamiques d’acclimatation photosynthétique des communautés dominées par L. platensis ou par P. salinarum en fonction de la lumière et des nutriments ;
- tester les hypothèses d’affinités aux nutriments différentes, entre les communautés dominées par L. platensis ou par P. salinarum, à l’aide d’analyses statistiques robustes (ANOVA, modèles linéaires mixtes) ;
- explorer les liens entre variables environnementales et réponses fonctionnelles via des analyses multivariées (PCA, RDA).
Références bibliographiques
Bernard, C., Escalas, A., Villeriot, N., Agogué, H., Hugoni, M., Duval, C., Carré, C., Got, P., Sarazin, G., Jézéquel, D., Leboulanger, C., Grossi, V., Ader, M., & Troussellier, M. (2019). Very low phytoplankton diversity in a tropical saline-alkaline lake, with co-dominance of Arthrospira fusiformis (Cyanobacteria) and Picocystis salinarum (Chlorophyta). Microbial Ecology, 78, 603–617. https://doi.org/10.1007/s00248-019-01332-8
Cellamare, M., Duval, C., Drelin, Y., Djediat, C., Touibi, N., Agogué, H., Leboulanger, C., Ader, M., & Bernard, C. (2018). Characterization of phototrophic microorganisms and description of new cyanobacteria isolated from the saline-alkaline crater lake Dziani Dzaha (Mayotte, Indian Ocean). FEMS Microbiology Ecology, 94(8), fiy108. https://doi.org/10.1093/femsec/fiy108
Duperron S, Halary S, Bouly JP, Roussel T, Hugoni M, Bruto M, Oger PM, Duval C, Woo A, Jézéquel D, Ader M, Leboulanger C, Agogué H, Grossi V, Troussellier M, Bernard C (2024) Transcriptomic insights into the dominance of two phototrophs throughout the water column of a tropical hypersaline-alkaline crater lake (Dziani Dzaha, Mayotte). Front Microbiol. 2024 Apr 29;15:1368523. doi: 10.3389/fmicb.2024.1368523.
Pálmai, T., Szabó, B., Kotut, K., Krienitz, L., & Padisák, J. (2020). Ecophysiology of a successful phytoplankton competitor in the African flamingo lakes: the green alga Picocystis salinarum (Picocystophyceae). Journal of Applied Phycology, 32, 1813–1825. https://doi.org/10.1007/s10811-020-02092-6
Pálmai, T., Szabó, B., Lengyel, E., Kotut, K., Krienitz, L., & Padisák, J. (2024). Growth response of the picoplanktic Picocystis salinarum and the microplanktic Limnospira (Arthrospira) fusiformis strains from Lake Nakuru (Kenya) to rapidly changing environmental conditions. Hydrobiologia, 851(8), 1873-1889.
Profil de la/du candidat.e
-Connaissance en écologie, microbiologie environnementale, biologie des organismes ou discipline proche.
-Maîtrise des analyses de données scientifiques et statistiques (R, ANOVA, modèles linéaires, PCA/RDA).
-Rigueur scientifique, autonomie, capacité à synthétiser et interpréter des jeux de données complexes.
-Bonne capacité à lire et rédiger des articles scientifiques en anglais.
Encadrant.e.s
Fouilland, Eric, CNRS, eric.fouilland@cnrs.fr
Le Floc’h, Emilie, CNRS, emilie.lefloch@cnrs.fr
Leboulanger, Christophe, IRD, Christophe.leboulanger@ird.fr